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30.7.15

Chaleur humaine


1. paris

lorsque je regarde le plafond je vois l’inverse du sol je vois
les éclats débris liquéfiés de toutes les choses que j’ai avalées de travers qui ont
dégouliné là-haut tout là-haut oui
c’est une rétrospective de mes émois quel honneur
un musée mobile, ouvert aux quatre vents
de sorte à ce que chacun soit en mesure de
s’extasier devant la teneur du propos d’acclamer la texture
de mes implacables
mais tout ça j’en ai peur
va finir par me retomber sur la tête

(donnez-lui un peu de
donnez-lui un peu de
un peu de chaleur humaine
et pourquoi pas ?)


2. tokyo

je tricote mes poèmes comme des pop songs et on n’y retrouve pas toujours
la logique commune une certaine idée de
de ce qu’il est convenable de clamer pour être inconvenant
je ne le sais que trop que je ne tire pas assez fort sur le pianiste je n’ai pas
maudit mes contemporains fait l’apologie des haillons
je n’ai pas de gun et je n’ai pas assez
de mains pour tirer sur la corde juste des
doigts (dix)
qui flottent
là à quelques centimètres de mes
jolis moignons
je n’aime pas la violence et je préfère dessiner des vulves
roses
et pulpeuses
c’est plus smooth

je m’efforce pourtant de ne pas
de ne pas dépasser de l’emballage
c’est beau le plastique
et les reflets sur le plastique
et les couleurs qui dégoulinent
sur le carton jusqu’à vous mettre la nausée ou peut-être était-ce les néons (juste les néons oui oui)
mais vous m’achèteriez vous m’achèteriez oui
poupée princesse soldée livrée à l’amusement
public

(ne voyez-vous pas comme elle est innocente ?
ne voyez-vous pas comme elle vous ressemble ?)


3. londres

ils m’ont dit qu’il y avait des lieux de rendez-vous secrets sous les églises et je les ai crus
je les ai crus oui
je voulais virevolter juste virevolter parce qu’il ne restait plus rien de pertinent
à raconter
ce soir-là du moins
et tant pis oui tant pis si le monde était sens dessus dessous
on n’allait pas changer le cours des choses
faire remonter le sperme dans l’urètre
(pour ainsi dire)
et puis ça n’aurait pas servi à grand-chose
je n’étais qu’une idole de coffee shops
mon job était de prononcer tous les noms à l’envers (de tête, sans les écrire)
et on s’étonnait ensuite
que je ne veuille plus
faire l’amuseuse publique
vu la dose de cynisme imposée
vu comme on se foutait de moi quand je voulais faire du zèle
ou lorsque le rimmel dégoulinait comme ça
sur mes joues
et que personne ne comprenait
que je n’étais pas triste

(donnez-lui un biscuit, vous la verrez chanter
donnez-lui une caresse, vous la verrez bêler
donnez-lui une idée, vous ne la verrez plus)


4. berlin

on ne se rhabillait après le spectacle
que lorsque c’était vraiment nécessaire
il y avait certains hommages rendus ici et là
à des gens qui ne l’avaient pas vraiment mérité mais qui étaient là
et puis l’important c’était de ne pas se retourner sur soi-même
et ça c’était quelque chose
qu’ils avaient su faire avec brio
moi j’avais juste un joli chapeau (mais vraiment joli)
toutefois je pensais je croyais tenir quelque chose
quelque chose oui
une opportunité de déverser des torrents de glu de me rouler dedans en récitant
en récitant les hymnes nationaux du monde (sans mélodie, juste le rythme et les mots)
et d’être acclamée pour ça
ça n’a pas pris
ils m’ont dit que je devais me contenter de poser
de poser oui
pas de ratures, on n’était pas là pour faire de l’art contemporain sûrement pas non
alors je me suis inclinée et je suis sortie
par la petite porte
c’était plus simple

(elle s’est mise à chanter sous la douche en hiver
à arracher un par un les clous dans les murs
et à boucher les trous avec de la bave
parce que ça sent bon après quand ça sèche)

A.K.